lundi 5 octobre 2009

Une femme en Auguste (Th. Bonnetat)


Sur la piste du cirque, rien ne pourrait transparaître, rien ne transparaissait jamais.
Tout est jonglerie sous le chapiteau.
On est ailleurs, dans le cercle, un peu avec soi, un peu autre.

J'en ai parlé longuement avec Marie, l'écuyère romantique, celle qui portait le tutu pour la Sylphide.
Elle était cette jeune fille légère dans des éclats de tulle. Dans un glissement.

Je lui ai dit que je serais là, à l'ouverture du Grand Métropole, et en 1906, aucun spectateur, aucune spectatrice ne pourrait le deviner.
Au nez de tous et à la barbe du clown Boum-Boum, je lui donnerais la réplique. Au grand Boum-Boum.

ON a longtemps voulu que celui qui fasse rire soit un ancien écuyer, un acrobate usé, usé.
Un homme quoiqu'il en soit.

Enfant de la balle, j'ai sillonné avec eux, la route, de place en place, et n'ai cessé de coudre et recoudre la toile des tissus, d'agencer les patchworks d'étoffes.
Dans les coulisses, je regarde.

Je rêve de rentrer dans le rond du cirque, de me glisser dans des plis trop vastes, cachée .
De blanc, rouge et noir.
Une farce, une vraie farce d'étranges oripeaux.

Mes costumes pour la parade, choisis parce que trop courts, le veston et le pantalon d'abord, puis un costume tout noir avec l'étrange petit chapeau de Mrs Dalloz et un maillot vert acide avec des broderies, des fleurs mauves, jaunes.

Rouge pour les lèvres de sang.
Noir pour les sourcils de charbon.
Je serai là, en équilibre , accoutrée de vêtements d'hommes et parée d'un corset de dentelle.
De dessous féminins.

Au frémissement des cymbales: mon corps masqué, balourd et agile, le visage blanc de la pureté, rouge du sang et noir du deuil. Je jouerai des mimiques interdites, la voix dans les aigus, un son de crécelle.
Dans la lumière, un essaim de rires, une ruche dont je serai, grimée, la première Reine.

C'est mon tour.

Thérèse Bonnétat
- le 23 Novembre 2006 -

Photo : Laetitia Gavini.

2 commentaires:

  1. Cet article renvoit ma mémoire à une très belle chanson de Gérard Manset, "l'enfant qui vole":

    J'ai suivi l'enfant qui vole
    Au-dessus de la sciure.
    Pour elle, pas d'école,
    Pas de chaussures.
    Quand les feuilles tombent,
    Le cheval s'arrête
    Et le nain, triste,
    Allume le bord de la piste.

    J'ai suivi l'enfant qui vole,
    Qui cambre les reins,
    Debout dans la camisole,
    Le maillot de satin.
    Quand le matin vient,
    Qu'elle quitte la piste,
    Que le nain, triste,
    L'emmène.

    J'ai suivi l'enfant qui glisse
    Au-dessus des visages,
    Rêvé de son ventre lisse
    Comme un coquillage,
    Quand le matin vient
    Qu'elle quitte la piste
    Que le nain, triste,
    L'emmène

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Photo : Kiji, Russie par Toche

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